LA ROSE,
LA BOUTEILLE
ET
LA POIGNÉE DE MAINS

 

Georges Brassens

 

 


Cette rose avait glissé de
La gerbe qu'un héros gâteux
Portait au Monument aux Morts
Comme tous les gens levaient leurs
Yeux pour voir hisser les couleurs
Je la recueillis sans remords

Et je repris ma route et m'en allai quérir
Au p'tit bonheur la chance, un corsage à fleurir
Car c'est une des pires perversions qui soient
Que de garder une rose par devers soi

La première à qui je l'offris
Tourna la tête avec mépris
La deuxième s'enfuit et court
Encore en criant au secours
Si la troisième m'a donné
Un coup d'ombrelle sur le nez
La quatrième c'est plus méchant
Se mit en quête d'un agent

Car aujourd'hui c'est saugrenu
Sans être louche; on ne peut pas
Fleurir les belles inconnues
On est tombé bien bas bien bas

Et ce pauvre petit bouton
De rose a fleuri le veston
D'un vague chien de commissaire
Quelle misère.

Cette bouteille etait tombée
De la soutane d'un abbé
Sortant de la messe ivre mort
Une bouteille de vin fin
Millésimé, béni, divin,
Je la recueillis sans remords

Et je repris ma route en cherchant, plein d'espoir
Un brave gosier sec pour m'aider à la boire
Car c'est une des pires perversions qui soient
Que de garder du vin béni, par devers soi

Le premier refusa mon verre
En me lorgnant d'un œil sévère
Le deuxième m'a dit, railleur,
De m'en aller cuver mon vin ailleurs
Si le troisième sans retard
Au nez m'a jeté le nectar
Le quatrième c'est plus méchant
Se mit en quête d'un agent

Car aujourd'hui, c'est saugrenu,
Sans être louche, on ne peut pas
Trinquer avec des inconnus
On est tombé bien bas bien bas..

Avec la bouteille de vin
Millésimé, béni, divin,
Les flics se sont rincées la dalle
Un vrai scandale !


Cette pauvre poignée de mains
Gisait oubliée en chemin
Par deux amis fâchés à mort
Quelque peu décontenancée
Elle etait là dans le fossé
Je la recueillis sans remords

Et je repris ma route avec l'intention
De faire circuler la virile effusion
Car c'est une des pires perversions qui soient
Que de garder une poignée de mains par devers soi

Le premier m'a dit fous le camp
J'aurais peur de salir mes gants
Le deuxième d'un air dévot
Me donna cent sous, d'ailleurs faux
Si le troisième, ours mal léché
Dans ma main tendue a craché
Le quatrième c'est plus méchant
Se mit en quête d'un agent

Car aujourd'hui, c'est saugrenu,
Sans être louche, on ne peut pas
Serrer la main des inconnus
On est tombe bien bas bien bas

Et la pauvre poignée de mains
Victime d'un sort inhumain
Alla terminer sa carrière
A la fourrière.

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modifié le dimanche 24 juillet 2005